Extrait du journal de bord du Mérou Hardi, Branlen le 28 du mois d’Emmanir 1524.
Iman Vasil, capitaine.
« Avons croisé ce jour deux sloops fantômes en provenance des royaumes de l’ouest flottant à la dérive. Les cales sont vides mais les ponts couverts de sang. Aucun cadavre à bord mais des dizaines de mains, sans doute celles des équipages, clouées sur les mâts !
Un survivant sur un des deux navires. Un dénommé Peter Devries, timonier à bord de la Tinette, sloop marchand. Horriblement mutilé et gravement déshydraté. Mort quelques heures après son sauvetage.
Durant son agonie, délirant, le marin a raconté les faits suivants :
« Notre destination était Halbrecht. Ca faisait trois jours qu’on était tous nerveux. Un raider arborant pavillon de Müden nous suivait de près et forçait régulièrement notre escorte à se mettre en ordre de bataille en augmentant sa vitesse. On avait aperçu un autre navire, un sloop qui avait disparu dès le deuxième jour.
C’est la nuit suivant le troisième jour de chasse que tout est arrivé ! Il faisait nuit noire et la brume nous encerclait lorsque nous avons entendu les premiers hurlements en provenance d’une de nos goélettes d’escorte. Quelques minutes plus tard, grand craquement de la zone où se trouvait notre autre protection, des hurlements et des bruits de combats.
Le capitaine a ordonné de donner pleine voile ! Mais on était trop chargés. Pareil pour la Clochette, l’autre navire marchand.
C’est là qu’on a vu arriver les grappins ! Le raider nous avait rattrapé et avait accroché nos deux coques en passant entre nous ! Après, ça a été une effroyable boucherie. Des soldats de Müden ont abordé et ils n’ont pas fait de quartier ! Je ne sais même pas si ça a duré dix minutes. Un géant, un monstre couvert de sang a ordonné qu’un timonier soit gardé vivant. Mais j’aurais préféré crever vu ce que j’ai subi.
J’ai vu quand ils ont achevé tous les blessés et coupé les mains des cadavres ! Ils ont foutu les corps à la baille et un vieux barbu les a toutes clouées au mât. Ils riaient tous si fort. Ils m’ont hurlé dessus que ces eaux appartenaient désormais au royaume de Müden et ils m’ont battu. Je me suis évanoui.
A mon réveil, j’étais attaché le torse par-dessus le bastingage. Deux cordes attachées à mes bras passaient sous le rebord et deux autres à mes jambes par-dessus mes épaules. Ils m’ont demandé si je connaissais le jeu de la poulie. Les cordes étaient reliées à deux poulies accrochées au mât… Ils ont grimpé aux cordes en riant jusqu’à ce que mes articulations cèdent.
J’étais encore attaché quand ils m’ont tous… Je ne sais pas combien d’hommes. Vingt ? Trente ? Le monstre est passé en dernier… Il m’a dit que c’était dans cette position qu’il préférait les timoniers. Après je ne me rappelle plus.
J’ai cru devenir fou quand ils m’ont réveillé en me pissant dessus. Je souffrais le martyr. Ils se sont écartés et un homme s’est approché de moi. Grand et mince. De riches vêtements couverts de sang. Je me souviens encore de la méchanceté effroyable de son regard lorsqu’il s’est mis nez à nez avec moi et qu’il m’a dit : « Je me nourrirais bien de toi mais j’ai besoin que tu vives. Raconte ton histoire, misérable créature. Dis bien à ceux dont tu croiseras la route ce qu’il advient lorsque l’on ne se soumet pas à la loi de Müden ! ».
Puis il a déclaré que je devais juste être en état de parler, alors ils m’ont coupé les mains. J’ai vu le vieux rire aux larmes lorsqu’il les a clouées au mât.
Puis ils m’ont brûlé les yeux. »
Le dénommé Peter Devries est mort dans les instants qui ont suivi.
Nous sommes trop chargés et il n’est pas possible de remorquer les deux navires. Nous emmenons le corps de ce pauvre homme jusqu’à notre destination où nous prendrons contact avec les autorités locales et signalerons la position des bâtiments.
Mon équipage est sous le choc et moi-même je n’ai jamais vu de telles horreurs.
Je prie les Dieux que ces monstres soient venus d’un enfer quelconque.
Parce que s’ils sillonnent ces eaux… »